Françoise Maisongrande

Muros
texte de Emma Bourras
2022.

POROSITÉ est un projet donnant à voir ce qu’il y a derrière les murs des maisons de banlieues pavillonnaires. Françoise Maisongrande projette sur ces murs ses questions et fantasmes personnels en mêlant les imaginaires communs.
Mais revenons en arrière. Car Porosité est un fragment du cycle MUROS initié par l’artiste en 2019.

C’est à la suite d’une résidence en milieu hospitalier puis carcéral que Françoise ressent l’envie de questionner les espaces clos et en particulier les murs en tant que limites spatiales et symboliques des humains. Bruce Brégout, dans son ouvrage Lieu Commun dit des éléments du décor journalier qu’ils “nous livrent une part de cette vie courante qui se dérobe du fait même de sa surprésence”. Françoise Maisongrande pose un regard sur ce décor du quotidien que l’on tend à oublier. Frontière non architecturale délimitant un espace, le mur sépare le privé du public et c’est la notion de privé qui intéresse le plus l’artiste.
Vivant dans une banlieue pavillonnaire toulousaine, espace fortement découpé et limité, elle en fait son point de départ, son lieu de réflexion et d’expérimentation. Elle se concentre particulièrement sur les notions de protection et de restriction que symbolisent les murs : qui se cache derrière eux ? De quoi nous protègent-ils ? Et par opposition, de quoi nous excluent-ils ? Quelles limites imposent-ils ? Nous imposons-nous ces limites ?

Comme dans tous ses projets, Françoise Maisongrande procède à un état des lieux. C'est le nom du premier fragment de MUROS. En se baladant dans les lotissements environnant son habitation, elle réalise des séries de photos des murs entourant les maisons en suivant un protocole : une photo à 3 mètres, à 5 puis à 9 mètres de chaque mur en gardant le même point de vue. Au total, environ 300 murs sont photographiés méthodiquement. Plus qu’un acte de documentation, Françoise “traque la poésie” sur les murs qu’elle photographie. Elle y observe les passages du temps : l’usure sur les briques, la hauteur des murs qui ne cesse de grimper.
De cette dernière observation, né le deuxième fragment nommé Construction. Elle y interroge le geste de construction d’un mur et son élévation. Elle réalise 26 vidéos en stop motion de murs construits en légos empruntés à son fils. Ces murs s’élèvent devant des images de simulation de maison issus des catalogues d’entreprise de construction. Les vidéos sont montrées simultanément en mosaïque ou mises bout à bout. Derrière l’aspect ludique et naïf des légos et de la technique du stop motion ainsi que l’artificialité des images de simulation, l'inquiétante montée des murs est édulcorée. Françoise émet plusieurs hypothèses quant à ce phénomène : Est-ce pour se protéger de l’Autre, du regard de l’Autre logiquement lié une peur de l’altérité et de l’inconnu, un besoin de se replier sur soi-même ?
Après avoir interrogé les raisons d’être des murs, il s’agit d’imaginer ce qu’il peut se cacher derrière.
C’est l’objet de Porosité. Dans ce fragment, Françoise Maisongrande choisit la lingette de lessive comme médium principal. Ayant la forme d’une brique, la lingette absorbe les surplus, les tâches, les erreurs pendant la lessive. Elle renvoie également à l’intimité familiale, le quotidien domestique. Par la technique du transfert, des objets appartenant au jardin comme un toboggan, un tas de bois ou un un pot de fleurs apparaissent délicatement sur les lingettes. Comme des fantômes, ils font référence à ce qu’il peut se passer derrière les murs des jardins et la porosité entre réalité et fiction qui entoure cette question.
Métaphores de fantasmes, les lingettes symbolisent l’objet de curiosité (ce qu’il se passe dans le jardin) et l’obstacle qui nous empêchent de le voir (le mur) en même temps. Pour “faire poésie” du quotidien.              
Obstinée, Françoise Maisongrande poursuit le projet MUROS à travers d'autres médiums et en fait un tremplin vers d’autres espaces plus large comme la campagne et les espaces frontaliers.

Emma Bourras, commissaire d’exposition et curatrice de projets culturels basée à Pau.